« À une certaine heure du jour, même le sujet le plus ordinaire est magnifique. » Maurice Cullen, cité dans un essai écrit par Robert W. Pilot (son beau-fils), dans Maurice Cullen 1866-1934 (Art Gallery of Hamilton, 1956)

Maurice Cullen

par Conrad Graham

 

Maurice Galbraith Cullen est né à St. John’s, Terre-Neuve, le 6 juin 1866. Il est l’enfant unique de James Francis Cullen, un ouvrier métallurgiste de Torbay, qui a rencontré son épouse, Sarah Ward, lors d’une visite à Montréal; c’est d’ailleurs là qu'ils se sont mariés le 8 août 1865, à la basilique Saint-Patrick.

 

Il existe très peu d’information sur l’enfance de Maurice Cullen, mais selon les dires de son beau-fils, Robert W. Pilot, la famille est déménagée à Montréal alors que Cullen n’avait que quatre ans. Par la suite, Cullen a toujours considéré Montréal comme sa ville d’adoption.

 

En 1880, à l’âge de quatorze ans, Cullen commence à travailler comme vendeur chez Gault Brothers, une mercerie de Montréal. Il occupe cette fonction pendant quatre ans à l’exception d’une semaine où il est promu commis comptable; comme il ne fait que dessiner dans les marges des livres comptables, il est vite ramené à son poste de vendeur.

 

Selon Robert Pilot, c’est à cette époque que Cullen commence à dessiner et à étudier la sculpture, le soir, sous la direction de Louis-Philippe Hébert, au Monument National. Cullen aurait dit à son beau-fils qu'il aidait Hébert à sculpter les apôtres et les saints destinés au toit de la cathédrale de l’Église Catholique Romaine de Montréal.

 

La mère de Cullen décède le 17 août 1887 et lui laisse un modeste héritage de deux mille dollars qu'il utilise pour parfaire ses études à Paris. En novembre 1888, il est inscrit simultanément  aux classes de Léon Gérôme à l’École des Beaux-Arts, comme auditeur libre, et à l’Académie Colarossi à temps complet, suivant des cours sous la direction de Gustave Courtois (1853-1923) et de J.A.Rixens (1846-1925). En 1889, Cullen réussit les examens d’admission de l’École des Beaux-Arts de Paris. Il sera dès lors introduit à l’enseignement magistral strict en vigueur depuis des générations où tout est codifié par sujet, par technique et par thème. Par ailleurs, Cullen est également inscrit à l’Académie Julian où il peut travailler sans restrictions. C’est la qu'il fait la rencontre de trois connaissances montréalaises, Joseph Franchère (1866-1921), Joseph Saint-Charles (1868-1891) et William Brymner (1855-1925). Il fait également la connaissance de nombreux artistes impressionnistes en vue de l’époque qui travaillent à Paris à ce moment-là.

 

En janvier 1891, le critique au Courrier du Canada, fait l’observation qui suit au sujet de Cullen :

 

« M. Cullen penche plutôt vers l’école impressionniste et ce n’est certes pas un reproche que nous lui ferons car cette tendance prouve chez cet artiste une horreur de la banalité que nous ne saurions trop encourager. C’est dans cette note qu'il vient de terminer deux paysages de sa composition qui sont exposés en ce moment à l’American Student Association, boulevard Montparnasse; ce sont là deux œuvres très personnelles et qui promettent beaucoup. »

 

En 1890, un certain nombre d’artistes, y compris Auguste Rodin (1840-1917), Puvis de Chavannes (1824-1898) et Louis Ernest Meissonier (1815-1891) quittent la Société des Artistes Français et le Salon Officiel, pour fonder la Société Nationale des beaux-arts (connues sous le nom de la Nationale). Cullen expose à la Nationale en 1894 et 1895 et devient le premier Canadien à y être élu associé en mai 1895.

 

Cullen passe ses vacances sur la côte de la Bretagne, non loin de James Wilson Morrice (1865-1924). Ensemble, ils peignent en Bretagne et à Venise comme ils le feront plus tard à Beaupré et à Québec pendant plusieurs hivers.

 

En 1895, Cullen décide de revenir à Montréal. Il ouvre un studio au 98 de la rue Saint-François-Xavier et présente des œuvres à l’exposition d’automne, la Kermesse, organisée en faveur de l’hôpital Notre-Dame de Montréal. Le 14 décembre 1895, son ami de longue date à Paris, William Brymner, le présente au Pen and Pencil Club de Montréal.

 

Au cours de l’hiver de 1897, Cullen et Morrice peignent sur la côte de Beaupré. C’est là que Cullen commence à peindre des paysages d’hiver avec cette luminosité nordique merveilleuse qui allait devenir plus tard l’une de ses marques de commerce.

 

Même si Cullen présente ses œuvres dans de nombreuses expositions et galeries d’art, ses toiles ne se vendent pas bien à Montréal, à ce moment-là. Les marchands d’art et les riches collectionneurs préféraient les Hollandais du XIXe siècle, notamment l’école de la Haie, et divers artistes anglais de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle.

 

Cullen est élu associé de l’Académie royale des arts du Canada au printemps de 1899. Cette élection lui a sans doute permis de se faire connaître davantage du public puisque c’est à compter de ce moment là que ses œuvres ont gagné en popularité. Cullen utilise alors la technique d’empâtement qui donne de l’épaisseur à ses œuvres (couche par-dessus couche) et qui lui permet d’obtenir la texture voulue. Sa technique a d’ailleurs influencé d’autres artistes montréalais de l’époque comme William Brymner.

 

En 1900, Cullen retourne en Europe. Au cours des deux années qui suivent, Cullen peint dans de nombreux endroits, y compris en Bretagne, à Venise, à Florence et dans le sud de la France. En 1902, il revient à Montréal et ouvre un atelier au 3 de la Place Beaver Hall. Robert Pilot décrit la période qui s’ensuivit comme suit :

 

« Alors commence pour lui une période d’étude passionnée : la neige, ses jeux de lumière, ses couleurs irisées, ses réflexions. Peu d’artistes ont su rendre cet aspect de la nature avec une telle sûreté. Revenant tous les ans à Québec, puis plus loin à Beaupré et aux Éboulements, il suit le cours des saisons, cherchant la chaleur du soleil, le dégradé de l’automne, l’éclat de la neige. Il suit également le soleil dans sa course quotidienne. “ À certaines heures du jour, dit-il, l’objet le plus ordinaire devient beau” . »

 

En 1907, Cullen est élu membre de l’Académie royale des arts du Canada. Il est également invité à exposer au Canadian Art Club nouvellement créé, club qui ne représentait aucune école en particulier mais qui regroupait plusieurs artistes qui avait décidé de conjuguer leurs efforts dans leur intérêt mutuel. Ce club organisait des expositions principalement à Toronto, là où le public et les collectionneurs commençaient à s’intéresser à l’art canadien.

 

Cullen se rend à Terre-Neuve en 1907 pour la première fois depuis qu'il a quitté cette province en 1870. Son père demeure toujours à St. John’s et c’est vraisemblablement la raison de sa visite. À l’époque, il n’y a aucun artiste résidant sur l’île et Cullen en profite pour réaliser une série d’œuvres représentant les paysages colorés de l’endroit. C’est là que Cullen rencontre Barbara Pilot, une veuve avec cinq enfants qu'il épouse le 3 novembre 1910. L’années suivante, Cullen déménage toute sa famille à Montréal. Le plus jeune beau-fils, Robert, se rapproche beaucoup de Cullen qui l’influença grandement quand il est lui-même devenu un artiste.

 

En 1911, Cullen commence à enseigner à l’Art Association of Montreal. Pendant les treize années qui suivent, il enseigne la peinture sur le motif. Bon nombre d’artistes bien connus dont Edwin Holgate, Mabel Lockerby, Robert Pilot et Prudence Heward y reçoivent leurs premières leçons de Cullen sur l’art de peindre des paysages.

 

Après 1903, Cullen expose régulièrement des pastels. Il a appris la technique au pastel de l’un de ses professeurs à l’École des Beaux-Arts de Paris, Philippe Roll. Cullen réalise ses propres pastels à partir de terres minérales naturelles et d’autres pigments qui sont généralement « fixes » pour prévenir toute forme de maculage. Il se sert de ces types de pigments en raison de leurs qualités expressives et, aussi, du fait qu'ils se transportent bien et qu'ils se combinent aisément à l’encre et au crayon.

 

Robert Pilot décrit ainsi la technique de son beau-père en marge de l’exposition rétrospective de 1956:

« Il fut toujours partisan du travail préparatoire. Des centaines d’esquisses en font foi; on en verra quelques exemples à l’exposition. Il était remarquablement sensible à l’ambiance qui enveloppe tous les objets de la nature, et les entoure de charme et de mystère à mesure qu'ils reculent dans l’espace. Il s’est toujours préoccupé des valeurs, terme d’atelier difficile à saisir pour le profane, mais qu’on peut définir comme l’incidence relative des couleurs et de la lumière. Il a toujours affirmé que l’artiste doit se doubler d’un artisan consciencieux, et ce credo se retrouve dans ses tableaux : il est rare en effet qu’on puisse y déceler une craquelure ou un coin terni. Plusieurs spécialistes qui ont nettoyé ses tableaux ont remarqué cette solidité de facture et la facilité avec laquelle ils se prêtent à la restauration. Cela s’explique par son habitude de n’utiliser que quelques couleurs pures, et sa façon de les manier. Il parlait souvent de la qualité de la matière, et cette qualité se retrouve généralement dans ses toiles. S’il ne pratiqua pas le divisionnisme des impressionnistes, il s’appliqua toujours à conserver l’indépendance des couleurs en les mélangeant sur sa palette, pour leur conserver la vie et la vibrance. Bien plus, il considérait que la qualité ne va pas sans solidité, et c’est pourquoi il procédait par empâtement. À son avis, la matière d’un tableau devait constituer un tout uniforme, et si on donnait beaucoup de corps, il fallait le faire de façon égale partout. »

 

En 1918, le gouvernement canadien demande à Cullen de devenir l’un de ses peintres de guerre officiels et l’envoie sur le front Ouest en France pour faire des esquisses et des tableaux de scènes de guerre. En tout, Cullen réalise soixante-trois œuvres dont les cinq dernières ont été remises au gouvernement en avril 1920.

 

À son retour de Londres en 1919, Cullen reprend l’enseignement à l’Art Association of Montreal et participe aux expositions annuelles de l’Académie royale des arts du Canada et à l’exposition du printemps de l’Art Association of Montreal. C’est grâce à ces expositions qu'il se fait connaître du commerçant d’art William Watson qui, à compter de 1923, organise des expositions annuelles consacrées à l’œuvre de Cullen en janvier. À partir de 1923, Cullen se concentre sur les paysages des Laurentides. Dans un document écrit en 1930, Watson décrit avec chaleur le travail de Cullen.

 

« En plein hiver, sous un épais manteau de neige, quand les forêts ne forment plus qu'une silhouette noire contre le chatoiement de la lumière rayonnante, Cullen peint à la gloire de l’hiver laurentien. En regardant ses toiles, on perçoit la profondeur de la solitude, le silence exquis du monde recouvert de neige. De fait, c’est l’âme même de cette région qu’il peint. Pour lui, les forêts sont le symbole permanent de la nature à la fois toujours virile et vierge; et non les lieux de prédilection des chasseurs ou des marchands de bois. C’est cette plus grande vision des choses, cette perception plus profonde qui créent l’attrait intellectuel et émotionnel de l’œuvre de Cullen. »

 

Cullen a eu droit à deux importantes expositions rétrospectives au cours de sa vie. La première, en 1930, est parrainée par le gouvernement du Québec et s’intitule Rétrospective des œuvres de Maurice Cullen –Troisième Exposition Annuelle d’Artistes Canadiens, École des Beaux-Arts de Montréal, et la seconde, en janvier 1934, est sous les auspices de la Galerie d’art Watson de Montréal.

 

En 1926, Cullen souffre du diabète et déménage de Montréal à Chambly pour y vivre à un rythme un peu moins trépidant. Puis, jusqu’en 1932, il continue de peindre et de préparer son matériel pour l’exposition annuelle de la Galerie d’art Watson. Cullen s’éteint le 28 mars 1934.

 

En septembre 1956, Robert Pilot écrit au sujet de son beau-père :

« Quelle place occupe Cullen dans nos arts, quelle influence a-t-il exercée sur ses contemporains et ses successeurs? Il apparaît déjà qu'il apporta au paysage canadien une vue neuve. Il fut le premier à donner de nos paysages une représentation à la fois personnelle et vraie. Quoique influencé par les impressionnistes, il adopta leur conception à un autre climat, à un monde différent. Voyant d’abord les fermes du bas Saint-Laurent comme une transposition des doux vallons de France, peut-être un peu plus rude, il était tout préparé à comprendre cette terre de la Nouvelle-France. Il pénétra graduellement vers l’intérieur, pour aborder enfin les Laurentides alors intactes et solitaires. »

 

 

Source: Catalogue de l'exposition rétrospective Maurice Cullen, Galerie Walter Klinkhoff (2000). Text écrit par Conrad Graham édité par la Galerie Walter Klinkhoff.

 

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