A.R.C. Canadien, 9 octobre 1898–17 décembre 1967
« Robert Pilot, qui a fréquemment partagé le studio de son beau-père, Maurice Cullen, à Sainte-Famille, était un maître de la peinture des paysages hivernales. Ses toiles de Mont-Tremblant et des environs sont parmi les meilleures peintures représentant les Laurentides. » T.R. MacDonald RCA, Director, Art Gallery of Hamilton

À la mémoire de Robert Pilot

par Walter Klinkhoff

Comment en suis-je venu à faire la connaissance de Robert Pilot, je ne m'en souviens plus. Il y eut certainement, tout d'abord, des années qui nous offrirent peu de chance de nous rencontrer. Lors de la Seconde Guerre mondiale, pendant qu'il participait à la campagne d'Italie en tant qu'officier de camouflage, j'exerçais ma profession d'ingénieur au Département de construction navale, à Montréal. À la fin des hostilités, tandis que Pilot se préparait à rentrer au pays, j'entreprenais moi-même de visiter l'Europe, d'où je ne revins qu'au début de 1949. La reprise du travail inhérent à ma profession d'origine me persuada peu à peu que mon tempérament et mes goûts s'accommoderaient beaucoup mieux d'une galerie d'art. Je changeai donc de voie.

 

Dans l'enthousiasme de ces premières années de mise en oeuvre de mon entreprise, il se peut que j'aie connu Robert Pilot par l'intermédiaire de ses collègues de l'Académie Royale des arts du Canada, de qui je commençai bientôt à acquérir des tableaux. Peut-être aussi l'artiste entendit-il parler de mes ambitions par une amie dont le frère était marié à la sœur jumelle de Madame Pilot. Quoi qu'il en soit, Pilot me témoigna bientôt une bienveillance extrême, me prodigua des encouragements qui se traduisirent davantage par des actes que par des mots, car il me donna la chance d'acheter plusieurs de ses meilleurs tableaux. Le marchand d'art William Watson, qui était plus âgé et déjà connu, avait traité avec Pilot pendant des années; ainsi l'avait fait, sur une moindre échelle, Joseph Schima, de la Galerie Continentale. Tous deux peuvent bien m'avoir envié ces acquisitions et s'être étonnés de mon succès. Je dois cependant ajouter que j'étais toujours heureux d'acheter sur-le-champ ces tableaux, tandis que mes collègues, eux, les prenaient en consignation, c'est-à-dire qu'ils ne les payaient à l'artiste qu'au moment où ils les vendaient. Monsieur Watson, marchand de renom à l'époque, parrainait surtout Maurice Cullen, le beau-père de Pilot; il appelait ce dernier « Bobby », même en se référant à lui. J'imagine que ce diminutif quelque peu enfantin dû irriter Pilot, déjà devenu un des plus éminents peintres canadiens et, en fait, président de l'Académie Royale canadienne (1953-1954).

 

Un jour que je rendais visite à l'artiste à son studio de la rue Peel, j'aperçu une peinture ravissante, dont le sujet, assez proche du studio, laissait voir une partie de la rue Peel vue du côté sud de la rue Sherbrooke, par un soir d'hiver. La composition charmait par sa grande poésie. Or, à l'époque, une grosse enseigne commerciale était suspendue devant un édifice du coin sud-est - et elle faisait partie du tableau. Pilot, pourtant, m'avait souvent dit et prouvé qu'il pouvait faire disparaître certains éléments de ses compositions, omettant quelquefois des arbres ou des maisons au nom de l'art. J'étais donc curieux de savoir pourquoi, cette fois-ci, il n'avait pas éliminé l'enseigne. Mon grand désir d'acquérir la peinture me poussa à le lui demander. Comme Pilot n'était pas plus vendeur qu'il n'admettait de compromis dans son art, je m'attendais à une réponse telle que « Si vous n'aimez pas cette peinture, ne l'achetez pas! » Mais, au contraire, il réexamina sa toile, puis me fit l'honneur de me dire que j'avais là « une idée » et me demanda de revenir le lendemain. Ce jour-là, le tableau, débarrassé de son élément inesthétique, me plut dès que je le vis. Acquis par Monsieur Bartlett Morgan, qui vivait aussi sur la rue Peel, il fut montré lors de son exposition rétrospective présentée quelques années plus tard, au Musée des beaux-arts de Montréal. Le catalogue publié pour l'occasion, devenu maintenant très rare, en contenait une reproduction en couleur à la page trente-sept. Ce tableau a aussi fait partie de l'exposition de la Galerie Walter Klinkhoff, en 1988.

 

Je me demande parfois si Pilot n'a jamais regretté de ne pas s'être joint au Groupe des Sept. Il en eut certainement la possibilité, tout comme l'eurent Randolph Hewton et Albert Robinson. De fait, tous trois furent invités, en 1920, à participer à la première exposition du Groupe des Sept, à Toronto. Ils montrèrent leurs œuvres avec le Groupe mais refusèrent d'aller plus loin dans leur association à celui-ci. S'ils avaient consenti à s'y joindre formellement, c'est d'un « Groupe des Dix » que l'histoire de l'art nous parlerait aujourd'hui. Robinson me confia plus tard que lui-même et ses deux confrères ne pouvaient tout simplement pas partager la façon de penser des autres. Ils ne se sentaient pas obligés de peindre les étendues désertes et lointaines du Canada et préféraient les endroits habités. A.Y. Jackson, un ami de longue date de Pilot, aida à réconcilier les deux groupes et leurs philosophies. Au printemps, dans son Québec natal, Jackson peignait avec ses amis le long des rives du Saint-Laurent et dans l'onduleuse campagne environnante. Le reste de l'année, il s'aventurait vers les étendues désertes du Nord et de l'Ouest du Canada. Pilot, lui, dans ses recherches de sujets d'inspiration, eut toujours une prédilection pour le territoire québécois.

 

Quant à ses préférences relativement aux autres peintres, elles allèrent surtout à Camille Pissarro, pour qui il avait une profonde admiration. Au Canada, ses artistes favoris furent Albert Robinson et James Morrice, sans oublier son beau-père et mentor Maurice Cullen, dont le travail artistique devançait son époque. Une note, au sujet de ce dernier: le marchand d'art William Watson avait l'habitude de me dire qu'il perdait de l'argent sur chaque tableau de Cullen qu'il vendait, car il prenait une commission de quinze pour cent, pendant qu'il lui en coûtait vingt pour maintenir son premier bureau, situé sur la rue Sherbrooke (Montréal). Mais il considérait comme un privilège le fait de représenter un artiste comme Cullen et son œuvre. Tels que beaucoup de grands peintres, Cullen et, après lui, son gendre, ne tirèrent pas vanité de leurs réalisations picturales. Il est vrai qu'avec le temps, seule la qualité compte; malheureusement, ce fait n'empêche pas bien certains individus d'être attirés par la fanfare de certaine publicité et indifférents à la réserve qui entoure souvent une vraie valeur. D'autre part, nous ne pourrions prêter à Pilot un propos aussi railleur que celui qu'employait Churchill vis-à-vis de Clement Attlee: « C'est un homme modeste - et il a bien des raisons de l'être ». Non. L'œuvre de Pilot, au contraire, est d'importance considérable, bien que, jusqu'à récemment, on ne lui ait pas toujours accordé toute l'attention qu'elle méritait.

 

À l'époque où Russell Harper travaillait à son ouvrage intitulé La Peinture au Canada, il chercha à obtenir l'aide de Pilot pour en savoir davantage sur Cullen. Pilot, courtois et obligeant comme toujours, invita Harper à déjeuner à son club, le Saint James's. J'ai bien peur que cela constituait une erreur, et j'aurais pu en avertir l'artiste si j'en avais eu l'occasion. Harper était un bon historien mais c'était un homme amer et frustré. Tout en se plaignant de sa propre condition, il avait une attitude sycophante envers les gens fortunés qu'il avait pourtant aidé à construire leur collection. À l'occasion, il recevait une invitation à leur table en guise de compensation monétaire à la place de la rémunération qu'il aurait dû recevoir pour un travail rendu, qu'il était trop timide pour demander. Dans son for intérieur, j'ai l'impression qu'il nourrissait de la rancœur à l'endroit des gens ayant connu le succès, et plus spécialement, les artistes couronnés de succès. Harper aurait dû se rendre compte qu'il avait recherché l'aide de Pilot, mais que ce dernier n'avait aucunement besoin de son aide pour faire mousser sa carrière. Par ailleurs, par la suite, lors d'une visite de l'historien à la maison de l'artiste,  Harper ne posa aucune question à Pilot au sujet de ses tableaux, voir même, jusqu'à ne leur accorder aucune attention. Dans son ouvrage, Painting in Canada, il ne mentionna pas la nom de Pilot ni dans le texte ni dans l'index de son ouvrage.  Cette omission ne fait pas honneur à l'historien, mais n'affecte en rien l'artiste.

 

Pilot m'a souvent aidé à attribuer des titres, ainsi qu'à authentifier et dater ses premières oeuvres ainsi que celles par Cullen. Vu qu'il avait été ami de Clarence Gagnon, il possédait une bonne connaissance de l'oeuvre de l'artiste, en plus de bien connaître les régions du Québec, comme je ne tardai pas à le découvrir. Quand parut la première édition du livre de Harper, Madame Gagnon m'a téléphoné, surprise d'y voir reproduit une peinture attribuée à son mari et intitulée Vue depuis Lévis. J'avais déjà mes doutes quant à cette toile en question. Madame Gagnon, n'ayant pas été consultée ni n'ayant donné son consentement, craignait que l'œuvre ne fût un faux. C'est alors qu'elle demanda à Pilot son opinion sur ce sujet si délicat. Pilot examina le tableau qui était reproduit dans le livre et il déclara sans hésitation que non seulement qu'il ne pouvait s'agir d'un tableau par Gagnon, mais que cela ne pouvait pas être une vue de Québec depuis Lévis. Cependant, comme le livre avait déjà été publié et que, selon Pilot, la réputation de Gagnon ne souffrirait pas d'une telle erreur, Madame Gagnon laissa discrètement tomber l'affaire. La seconde édition de l'ouvrage de Harper omit cette reproduction.

 

Comme bien des artistes, Pilot aimait que les gens apprécient et achètent ses tableaux; il avait besoin de ce stimulant pour continuer sa tâche. Il doit être très difficile de voir ses créations misent de côté et de les voir s'accumuler dans l'oubli. Pour lui, ce problème ne se présenta jamais.

 

Robert Pilot mourut en décembre 1967. Depuis l'Exposition rétrospective organisée à sa mémoire et inaugurée à Montréal à l'automne de 1968, vingt ans ont maintenant passé. Cette année marque le quatre-vingt-dixième anniversaire de sa naissance. Nous croyons que l'heure a sonné pour commémorer et de rendre hommage à son immense talent et à son apport à l'art canadien.

Walter H. Klinkhoff 

 

C'est quelques souvenirs ont été écrit en guise d'introduction à l'exposition qu'a présenté la Galerie Walter Klinkhoff, en 1983. Quant aux œuvres de Pilot, monsieur Klinkhoff (père) les laisse parler par elles-mêmes. En terminant, il mentionne que dans sa demeure, c'est un tableau de Pilot qui surmonte le manteau de la cheminée. Cela parle grandement de son admiration pour l'artiste.

 

 

Source: Catalogue de l'exposition rétrospective Robert Pilot, Galerie Walter Klinkhoff (1988).

© Galerie Walter Klinkhoff Inc.

 

 

Biographie

Robert Wakeham Pilot, fils de Edward Frederick Pilot et de Barbara Merchant, naquit à Saint-Jean, Terre-Neuve, le 9 octobre 1898. En 1910, Madame Pilot, déjà veuve, épousait Maurice Cullen qui était revenu dans son île natale pour y faire des croquis.

 

Cette même année, la famille s'installe à Montréal et Robert s'inscrit au Montreal High School alors situé rue Peel, sur l'emplacement actuel des Cours Mont-Royal. Il y étudiera jusqu'à sa seizième année. Durant l'année scolaire, il dessine, les soirs et les fins de semaine, dans le studio de son beau-père. Il suit également les cours du soir du Monument National où les leçons consistent à faire dessiner aux élèves la gamme classique des cubes et des cônes, puis la série des moulages de nez, d'oreilles, de têtes, de torses, etc. Pour compléter sa formation, il assiste aux cours du soir de la Royal Canadian Academy où il travaille d'après modèles vivants, sous la direction de William Brymner. C'est à cette époque que se précise sa vocation de peintre paysagiste, grâce aux excursions de fin de semaine qu'il fait en compagnie de son beau-père et aux voyages plus longs que permettent les vacances d'été et au cours desquels il remplit ses cartons de croquis.

 

Cullen doit alors faire face à un problème épineux : ce jeune homme à qui il attache des liens étroits et dont il a développé et dirigé le réel talent, est sur le point d'embrasser une profession où lui-même n'a trouvé que misère et insécurité financière. Il tente, mais sans succès, de le persuader d'étudier l'architecture, mais il se sent aussi soulagé et heureux que Pilot quand, finalement, il est décidé que celui-ci deviendra peintre. À cet instant décisif, un vieil ami de Cullen, William Brymner, qui exerce alors une influence prédominante sur la vie artistique de Montréal et qui est directeur de l'école d'art de la Art Association, connaissant les difficultés financières de Cullen, lui offre de prendre Pilot comme élève, à la condition qu'il paie seulement quand il le pourra.

 

Pilot suit les classes de Brymner jusqu'en 1916, quand il s'engage dans l'Armée canadienne. Il sert jusqu'à la fin de la guerre, en 1918. En 1919, il reprend ses études avec Brymner et obtient la bourse Wood. Presque tous les étudiants de cette époque rêvent d'aller à Paris. Ce rêve, Pilot va le réaliser grâce à la générosité d'un homme d'affaires de Montréal, Walter Hislop. Celui-ci, lors d'un dîner d'adieu en l'honneur d'Edwin Holgate, offre le prix de deux années en France, remboursable quand il le pourra.

 

À Paris, Robert Pilot s'inscrit au cours de l'Académie Julian. Le seul professeur de cette école qui saura gagner son respect est Pierre Laurens. Pilot dira plus tard que le « Ah, je vois un effort » de Pierre Laurens est le plus bel éloge qu'on lui ait jamais fait.

 

Il passe l'été de 1921 à Concarneau où il fait la connaissance du peintre américain, Charles Fromuth. Celui-ci a connu Maurice Cullen et apprenant que Pilot est son beau-fils, il l'aide à trouver un atelier. L'été suivant, Pilot revient à Concarneau où Edwin Holgate le rejoint et partage son studio pendant plusieurs mois. Au cours d'un second voyage en Europe, en 1927, Pilot visitera l'Espagne et le Maroc espagnol.

 

De retour à Montréal, il prend possession de l'ancien atelier de Cullen, rue Sainte-Famille, dans l'édifice Studio (Studio Building), propriété d'Alfred Laliberté. De là, il rayonne vers les Laurentides, la Baie Saint-Paul, Québec, et les provinces maritimes à la recherche de paysages à fixer sur la toile.

 

En 1940, il épouse Patricia Dawes et, en 1942, naît un fils, Wakeham.

 

Peu de temps après la déclaration de la seconde Guerre mondiale, il se joint au régiment des Black Watch en qualité d'officier à l'instruction. Dès son arrivée en Angleterre, il est affecté au 1er Corps d'armée canadien à titre d'officier du camouflage et part pour l'Italie. Son nom est souvent cité à l'ordre du jour et, en 1944, il est décoré de la M.B.E..

 

A son retour à Montréal, il reprend ses cartons et ses excursions dans les Laurentides et dans la région de Québec. Plus tard, il visitera les Rocheuses, puis, l'Angleterre, l'Irlande, la France et l'Italie.

 

Vers la fin de sa vie, il retrouve une inspiration nouvelle dans d'anciens croquis qu'il retravaille, s'efforçant, comme il le disait, de capter la poésie intrinsèque d'une scène qu'il avait dessinée dans sa jeunesse. Il est ravi de lire dans une lettre de Renoir que cet artiste, dans sa vieillesse, avait recours au même procédé.

 

Cullen et Brymner, par leurs conseils et leur œuvre ont, sans aucun doute, exercé une influence puissante et durable sur Pilot, surtout à l'époque de sa formation. Il subit, mais à un degré moindre, celle de Constable et de Corot, puis celle de Pissarro pour qui il avait une profonde affection. Mais c'est sa propre vision, direct et personnelle, de la nature qui assure à son œuvre un place parmi celles de ces esprits créateurs qu'il aimait et admirait.

 

Il professait une grande estime pour l'Académie Royale canadienne dont il devint Associé, en 1925, et Membre, en 1935. Il avait foi en cet organisme, il y voyait une force au service de l'art au Canada et il travailla sans relâche à en affermir les structures, surtout durant sa présidence, en 1953-1954.

 

Ses méthodes de travail étaient simples et franches comme le démontrent ses toiles. De sa riche palette aux tons de bleu de cobalt, outremer, viridine, brun de mars, rouge clair, ocre jaune, jaune de zinc, cadmium sulfuré, garance et vermillon, il n'utilisait souvent que le bleu de cobalt, le brun de mars, l'ocre jaune et la garance. Il choisissait et préparait ses panneaux et ses toiles avec le plus grand soin. La peinture était tout sa vie et il s'y adonnait sans réserve. Il apportait à son travail une intégrité totale tant étaient grands son respect et son amour de sa profession. Même affligé par la maladie, dans ses dernières années, il ne se plaignait que s'il était incapable de peindre, autrement, il traitait ses infirmités avec un humour un peu amer. De nature généreuse et sensible, il était toujours prêt à rendre service, avec délicatesse, souvent anonymement, en particulier aux étudiants et aux jeunes peintres.

 

L'œuvre qu'il laisse à la prospérité est le témoignage riche et éloquent d'une vie entièrement consacrée à l'art qu'il aimait tant.

 

T.R. MacDonald, A.R.C.

Reproduit avec la permission de Madame T.R. MacDonald du catalogue de l'Exposition Rétrospective de Robert W. Pilot en 1968.

 

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