BlogJune 3, 2016

René Richard: Le Tom Thomson du nord

Les tableaux de René Richard reproduits ci-dessous sont d’excellents exemples de l’importance de son œuvre, affirmant ainsi son rôle d’artiste non seulement de sa génération, mais de l’histoire de l’art canadien. « Son style est propre et ferme, son coup de pinceau précis et vrai », écrit Clarence Gagnon au sujet de son protégé. L’œuvre de Richard offre un récit personnel de la vie d’un trappeur canadien, voyageant en canot, à pied ou encore en traîneau à chiens, parcourant les régions sauvages de l’Alberta, la Saskatchewan, le Manitoba, les Territoires du Nord-Ouest et plus tard, le Québec.

 

Son art constitue une contribution importante à la narration de l’Ouest canadien, et nous offre un portrait du trappeur,  figure importante de notre culture canadienne et de l’histoire du développement de notre pays, qui n’avait jamais, d’autant qu’on le connaisse, été décrit de façon professionnelle et artistique par un trappeur-même. René Richard a longtemps joui d’un statut emblématique au Québec, mais la signification ethnographique importante de ses œuvres de qualité est tout aussi pertinentes pour une audience pan-canadienne et nous oblige de le reconnaitre comme un grand peintre d’importance historique nationale.

 

En 1909, Richard et ses parents quittent la Suisse pour émigrer au Canada. Après deux années passées à Montréal, la famille déménage dans la région éloignée et isolée de Cold Lake, Alberta où son père tient un poste de traite et de vente de fournitures pour les peuples autochtones habitant la région, acceptant les fourrure en guise de paiement. Les richesses de la nature séduisent Richard dès le début de son adolescence. Il passe ainsi 16 années comme trappeur dans l’Ouest canadien et les croquis plein-air qu’il accumulent pendant ses excursions deviendront une inspiration tout au long de sa vie. Les croquis de cette période décrivent l’expérience unique du trappeur et du bûcheron canadien, les camps délaissés, le canot du bûcheron, le feu de camp, le traîneau à chiens, et la camaraderie occasionnelle entre trappeurs.

 

 René Richard, Camps de trappeurs, Huile sur panneau, 18 x 23 1/2 po.

 

À partir de 1927, grâce à l’encouragement de Clarence Gagnon, Richard « Slim » part étudier trois ans à Paris et il apprend à perfectionner la qualité de son trait utilisant l’atelier de Gagnon; les dessins qu’il effectuera après 1930 sont de qualité particulièrement exceptionnelle.  En 1928, Clarence Gagnon écrit à Eric Brown, premier directeur de la Galerie nationale du Canada:

 

Il deviendra un plus grand artiste que Tom Thomson. Il a ignoré les écoles des beaux-arts, puisqu’après un mois ici, il dessinait mieux que tous les maîtres qui l’enseignaient [...] L’appel de la nature est en train de le conquérir et il a décidé de retourner au toundra d’où il vient , afin de reprendre sa vie de trappeur et de peindre tout ce dont il rêvait pendant des années au delta du fleuve Mackenzie. [...] Je serais vachement abéré s’il n’arrivait pas à devenir un plus grand artiste que Tom Thomson, et je souhaite que vous restiez en contact avec lui pour nous permettre de voir ses oeuvres en  exposition.

 

Richard revient alors dans l’Ouest canadien afin de peindre les paysages de son inspiration, mais la Crise des années 1930 le force à réintégrer de nouveau le métier de trappeur. En 1938, il rejoint Gagnon à Montréal mais s’échappe vite de la grande ville pour s’isoler à Baie-Saint-Paul, fait l’acquisition de l’ancienne maison de Gagnon en 1940 et se consacrera dorénavant à la peinture à l’huile, laissant derrière lui le fusain et le pastel. Dans une entrevue avec La Presse à Montréal en 1963, Richard se confie:

 

« C'est à Baie-Saint-Paul que je m'installai, en 1940. Clarence Gagnon, qui était venu en visite, y est demeuré 14 ans! Moi? Jamais je ne quitterai ce coin-là. La Côte-Nord, c'est un beau pays. On est entouré de forêts.  On sort par le Rivière du Gouffre. Il y a des sites merveilleux. Il y a le Parc des Laurentides pas loin, en haut, le Saguenay, c'est à côté, le fleuve, les routes de chantier, ouvertes en pleine forêt. Maintenant, je travaille toujours, mais plus tranquillement. Dans l'Ouest, c'était différent, j'ai déjà « croqué » un chasseur qui arrachait la peau d'un renard!  Fallait avoir le cœur solide. Je travaille toujours, oui. Voyez-vous, un travail de peintre, faut que ça soit suivi! » - La Presse Montréal, le 26 janvier 1963  

 

René Richard, Baie-Saint-Paul, Huile sur isorel, 24 x 28 po.

 

Les paysages peints par Richard au courant de cette période sont rarement titrés ou s’ils les sont, c’est par des titres génériques tel que « Campement indien », et sont souvent mal compris comme étant  des paysages québécois. En fait, il tire régulièrement inspiration de ses magnifiques croquis effectués dans les années 1930 lors de ses premiers expéditions de trappeur dans l’Ouest canadien, les régions de la rivière Churchill, de Fort McMurray et de Jasper. Bien sûr, son héritage vante également un corps solide et vaste décrivant la région de Charlevoix, où il se régalait des paysages de l’Ungava, de la rivière Saguenay et de la Côte-Nord du Québec.

 

René Richard l’artiste-trappeur, est devenu un personnage mythique sous la plume de la romancière manitobaine, Gabrielle Roy, amie et voisine de Richard dans Charlevoix. Elle se base sur la vie de Richard pour créer Pierre Cadorai, le protagoniste de son roman de renom La Montagne secrète (1962), pour ainsi raconter la vie de l’artiste. Au travers de ces lignes, Roy rend honneur à ce personnage légendaire et illustre la nature de la quête créative de l’artiste,  sa recherche inlassable du sens de l’art et de la vie. Gabrielle Roy décrit la solitude du peintre nomade entouré de nature sauvage, tantôt aimable tantôt féroce, ses rares rencontres avec d’autres dans le paysage mythique du Grand Nord canadien et la longue maîtrise de son art. De ces randonnées il revient avec des pochades enlevées souvent dans une sorte de sauvage impétuosité.Cette impatience de sa nature lui a nui quelquefois, mais le plus souvent elle l’a servi merveilleusement; alors, à quoi donc correspond-elle?

 

René Richard, La vieille maison Dufour, Baie St-Paul, Huile sur isorel, 24 x 28 po.

 

Un jour j’ai remarqué que, de retour de ses randonnées, René Richard parle de ce qu’il en ramène comme des prises, de captures.  Il dira par exemple :  « Aujourd’hui, je me suis "ramassé" quatre pochades ». Réminiscence du langage des trappeurs peut-être? Ou est-ce l’acte de peindre serait chez lui essentiellement de capturer vivants et palpitants quelques instants tout au moins de la vie? En 1973, Richard reçoit l'Ordre du Canada et en 1980, il devient membre de l'Académie royale des arts du Canada. Contrairement à Jean-Paul Lemieux et d'autres artistes figuratifs d’après la deuxième guerre mondiale, René Richard, vivant à Baie-Saint-Paul, n’offrait ses œuvres qu’à Montréal au plus loin, le reléguant ainsi à l'anonymat à l'extérieur du Québec. Il est pourtant un artiste de premier rang, d'importance nationale, et sera un jour reconnu d'un océan à l'autre. À l'heure actuelle, les tableaux de René Richard sont un investissement extraordinaire: des toiles d'intégrité, de qualité et d'une originalité certaine. Nous vous encourageons fortement dans l’acquisition de ces œuvres exquises.

 

Post-scriptum:

Il est à noter que la provenance du tableau « Ungava » est de monsieur A. Sidney Dawes (1888-1968), important homme d’affaires canadien vivant alors à Montréal et collectionneur d'art passionné qui possédait parmi son registre, plusieurs œuvres de Tom Thomson, Lawren Harris, Franklin Carmichael et d’autres grands maîtres. Il était également membre du Club Wapoos Sibi Club, pourvoirie de pêche et de gibier dans les Laurentides, reconnu entre autre pour la truite mouchetée, l'orignal, l'ours et le petit gibier. À l’été 1940,  monsieur Dawes offre à René Richard un emploi comme guide au club, l’autorisant à chasser tout l’hiver et de lui permettre d’avoir d’amples heures pour se consacrer à la peinture.  Dawes lui offre même de se charger de la vente des fourrures qu’il aurait trappé à la fin de l’hiver!

 

Dans sa lettre, Dawes encourage Richard à communiquer avec Philippe Parent:

[...] pour travailler avec lui au Wapoos Sibi Club Parent possède une certaine clientèle qui lui rend visite et vous pourriez facilement gagner votre vie avec lui tout en ayant beaucoup de temps pour peindre, et la vente de vos œuvres vous donnerait l’argent dont vous aurez besoin pour acheter une tenue correcte et pour couvrir toutes autres dépenses possibles. [...] Concernant les endroits pour chasser en hiver, comme je vous l'ai déjà mentionné, il y a des cabanes au Lac Red Pine et également la vieille Wapoos Sibi plus loin le haut de la rivière qui seraient tous deux à votre disposition. Vous aurez également accès à ces territoires de chasse à la condition de nous en aviser d'avance pour nous permettre d’avertir le gardien de chasse qui a beaucoup d’autres territoires ailleurs. Au printemps, il me ferait plaisir de me charger de la vente de vos fourrures et d’ainsi créditer votre compte pour vous permettre de rembourser le coût de fournitures que vous aurez pû nous prendre; s’il en reste un surplus je vous le remettrai. Je vous suggère ces deux alternatives parce que je crois que votre intérêt principal est la peinture, et que ces emplois vous conviendraient puisqu’ils vous offriraient le loisir de vous à consacrer à votre art.   

 Galerie Alan Klinkhoff

 

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Comments

Magnifique article. Merci à vous d'honorer ainsi la mémoire de celui que ous appellions simplement et affectueusement Oncle René.
siocnarf
11 November 2016

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