BlogJanuary 20, 2011

Collection de gravures de Clarence Gagnon acquises par Madeleine Boyer

Par Jan Johnson

C'est par ses gravures que Clarence Gagnon a atteint la renommée internationale.

 

Clarence Gagnon, Rue des Cordeliers, Dinan, 1907-1908.

 

Il n’est jamais facile – et il est parfois impossible – de collectionner l’ensemble des gravures d’un artiste du passé. La collection de gravures de Clarence Gagnon que Madame Madeleine Boyer a acquises avec amour, une par une, depuis les années 1950 jusqu’au début des années 1970, lui a valu une discrète renommée dans le monde des amateurs de gravures d’artistes canadiens du début du XXe siècle. Cette collection était connue comme l’une des plus complètes qui soit demeurée privée. Au moment de l’exposition de gravures de Gagnon à la Vancouver Art Gallery, en 1981, accompagnée d’un catalogue de Ian Thom, elle pouvait se flatter de posséder toutes les gravures du catalogue, sauf les trois épreuves d’essai à la pointe sèche, extrêmement rares, faites à Montréal, une scène de Picardie imprimée en seulement trois exemplaires et une vue rare de Normandie.

 

Les 28 gravures que comporte l’œuvre de Gagnon et dont il a fait de petits tirages, constituaient, pour une collectionneuse de gravures persévérante, une forte tentation et un projet réalisable au cours d’un nombre raisonnable d’années. Elle les a trouvées au cours de vingt années de recherches. D’autres collectionneurs ont été attirés par le même projet, mais aucun n’a obtenu le succès de Madame Boyer. (Huit autres gravures non publiées ont été portées à l’attention du public en 2006, avec la publication du nouveau catalogue de gravures du Musée National des Beaux-Arts du Québec, Clarence Gagnon. Rêver le paysage. C’était, pour la plupart, des épreuves provenant de la succession de l’artiste et qui avaient été gardées relativement cachées, d’abord par Tom Edwards puis par Peter Winkworth. Puisqu’elles appartiennent maintenant à des collections muséales, il n’y a virtuellement plus d’espoir de les acquérir.)

 

Que peut signifier le fait que quelqu’un cherche à collectionner toutes les gravures de Gagnon ? Cela signifie qu’il est simplement le meilleur des premiers peintres-graveurs canadiens, reconnu immédiatement pour le talent exceptionnel de ses œuvres, exposées d’abord à Paris puis ici. D’autres graveurs canadiens (un peu plus tard) qui ont essayé de se faire reconnaître en Europe ont dû envier l’apparente facilité avec laquelle il a attiré une publicité favorable, des marchands attentionnés et des collectionneurs reconnaissants. Sa réputation de graveur a précédé sa renommée de peintre. Il s’est vite rendu compte que ses gravures pouvaient faire avancer sa carrière de peintre tout en lui apportant un revenu stable qu’il n’aurait pas obtenu autrement. Un ensemble intact d’œuvres comme la collection de Madame Boyer offre une occasion exceptionnelle d’apprécier pleinement le talent et le développement de l’artiste.

 

Dans le cas de Gagnon, le développement de l’artiste comme graveur n’a pas été l’œuvre de toute une vie, mais plutôt un flamboiement de talent naturel qui s’est manifesté surtout de 1904 à 1910, avec un éclatant retour au médium en 1917, avec son unique sujet montréalais, le Jardin du Grand Séminaire. Durant cette courte période, cependant, il a acquis une maîtrise extraordinaire des différentes techniques de gravure et de la maturité dans la capacité d’utiliser le médium de manière expressive. Son talent pour le dessin s’est facilement traduit en une ligne gravée plus souple et suggestive que celle de plus d’un graveur plus expérimenté. Le premier contact de Gagnon avec la gravure s’est produit à Montréal, à la suite d’une brève série d’expositions d’arts graphiques et d’articles de presse favorables au médium.

 

Il a eu la chance de pouvoir se faire la main vers 1902-1903, sur une petite presse privée. Mais il est peu probable qu’il aurait continué dans cette voie s’il n’avait pas déménagé à Paris, en 1904, et rencontré plusieurs autres artistes, français et américains, entraînés dans le courant d’enthousiasme pour la gravure qui avait déferlé sur le monde de l’art. Il aurait pu y recevoir des leçons d’amis américains, ou peut-être de Jean-Paul Laurens, son professeur de peinture à l’Académie Julien, qui était aussi un graveur expérimenté et qui avait son propre atelier. Les excursions de Gagnon dans de pittoresques villages de Normandie, de Bretagne et de Picardie, ainsi qu’à Venise, Florence et Grenade, lui fournissaient la matière, qu’il copiait ensuite sur une plaque de cuivre une fois de retour dans son atelier parisien. Ses tableaux en plein air, ses pochades méticuleusement exécutées qui précédaient des versions plus grandes, étaient à peu près à la même échelle que ses gravures, et plusieurs sujets étaient traités dans les deux médiums.

 

La collection Boyer comprend toutes les scènes poétiques de Venise, depuis une vue du Grand Canal jusqu’aux eaux tranquilles des canaux San Agostino et San Pietro. Une vue charmante des jardins publics rappelle le japonisme de l’appartement parisien décoré par Gagnon et sa jeune épouse. Clair de lune, Venise, baigne dans une atmosphère particulière, grâce à un mélange de lignes parallèles sinueuses, d’ombres dramatiques et d’une fine pellicule d’encre sur la surface de l’eau, excepté là où des reflets miroitants ont été enlevés avec l’extrémité d’un pinceau. En France, il a montré un penchant pour les aperçus sur des rues étroites, dont le plus bel exemple est la Rue des Petits Degrés, Saint-Malo. Ici, la différenciation entre la profondeur et la largeur des lignes et la manipulation de la lumière et de l’obscurité attire adroitement l’œil vers les confins de la rue et le relief de lumière au fond. Ses vues de la campagne française, saturées d’atmosphère, sont parmi les plus belles qu’il ait faites en France.

 

Les remarquables

En novembre (étonnamment, l’une des premières), Mont-Saint-Michel (qu’il considérait comme sa meilleure gravure), Vieux Moulin, Picardie et Vieux Moulin, Saint Briac capturent toutes le vent et l’humidité du climat du nord de la France. Il ne se contentait pas de décrire un lieu, il en faisait ressortir le caractère dramatique, l’immédiateté ou la qualité particulière d’une scène, comme le montre sa remarquable transformation d’une simple carte postale vue de jour en Clair de lune à Pont-de-l’Arche. Il ne semble pas que Gagnon ait fait les tirages de ses gravures d’une manière ordonnée, mais qu’il a plutôt répondu à la demande du marché pour une image et qu’il les a imprimées sur plusieurs années. Cependant, le fait qu’il se donnait la peine de les imprimer lui-même, tout en poursuivant une carrière de peintre et à une époque où ses revenus étaient modestes, signifie qu’il n’en a jamais fait un grand nombre. Lorsque, à l’occasion, il citait le volume d’un tirage sur une impression individuelle, le nombre mentionné est au plus 50, le plus souvent 30 exemplaires.

 

Une exposition à la Galerie A.M. Reitlinger de Paris, en 1913, indique que les six gravures ont été limitées à 50 impressions. La difficulté de trouver certains sujets, que devait bien connaître Madame Boyer, montre que plusieurs planches ont été imprimées en bien plus petit nombre. Leur relative rareté est un stimulant de plus pour le collectionneur avide. La possibilité de trouver éventuellement quelques-uns des sujets les plus rares et récemment découverts, demeure un projet tentant pour le futur propriétaire des vingt-huit gravures de la collection Boyer. En construisant sur la base de cette extraordinaire compilation, le collectionneur peut aspirer à posséder l’ensemble privé le plus complet de gravures de Clarence Gagnon. Jan Johnson, Montreal

 

Copyright © Jan Johnson et Galerie Walter Klinkhoff, 2010

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