« Prenez à témoin ses portraits cérémoniaux officiels, capturant savamment l’essence des individus servant de sujets pour ses toiles. C’est un peu comme s’il pouvait voir à travers eux. » Gordon Snyder

Nicholas Raffael de Grandmaison est né en 1892. Il vient d’une famille noble, d’une double descendance, soit française et russe. Alors qu’il était enfant, il parlait couramment les deux langues, qui étaient toutes deux associées à l’élite russe de l’époque. Il s’intéresse rapidement au dessin, faisant à l’occasion quelques fresques enfantines sur les murs de la maison familiale. Puis, il sera envoyé au collège où il recevra une formation stricte et rigoureuse, le modelant ainsi en un parfait gentilhomme. C’est à cet endroit qu’on lui enseignera la musique, l’art, les langues et l’histoire. Il recevra son diplôme à l’âge de 19 ans.

 

La famille de Grandmaison possède une longue et fière histoire au sein de la police militaire et l’on attendait de Nicholas qu’il poursuive la tradition familiale en entamant une carrière de ce milieu. Ce qui enthousiasmait beaucoup moins le jeune homme. Il fut donc envoyé dans une académie militaire afin de recevoir une formation d’officier administrateur, où il apprendra très peu sur la discipline, les tactiques militaires et la force de feu. Au lieu de cela, il préféra pratiquer son passe-temps, le dessin, au moyen de ses études sur la cartographie et sur la topographie. Malgré son manque d’intérêt évident, il fut promu au titre de sous-lieutenant dans le régiment Nevsky, une infanterie de l’Armée Impériale Russe. En juillet 1914, en raison des hostilités menaçant l’Europe, la Russie ordonna la mobilisation complète de son armée afin de vaincre l’Allemagne. La carrière militaire de Nicholas de Grandmaison de a été courte, puisqu'il était parmi les premiers soldats russes capturés, quelques temps avant la bataille de Tannenberg, en août de la même année.

 

De Grandmaison passera quatre ans dans un camps d’internement, où il apprit les rudiments de la langue anglaise et allemande. L’art s’imposera comme bouée de sauvetage devant la monotonie de sa situation. C’est à ce moment que de Grandmaison s’immersera dans un projet qui le mènera à réaliser de nombreux portraits, prenant comme modèles ses collègues d’infortunes. À une reprise, il aura l’occasion de dépeindre les traits d’un haut officier allemand. Selon la disponibilité du matériel artistique, il utilisera principalement l’huile et à l’occasion les pastels.

 

Après la guerre, en 1919, de Grandmaison rejoint de nouveau l’armée Impériale afin de prendre part au règlement d’une crise civile et Russie et sera ensuite redirigé à un camp d’entraînement en Newmarket, en Angleterre. Peu de temps après, les forces de l’armée Impériale seront écrasées par les Bolchéviques. De Grandmaison se retrouve alors coincé dans un pays étranger, sans profession ni patrie. Il tente de retrouver les officiers avec qui il s’était lié d’amitié lors de l’effort de guerre mais ne trouva que leurs femmes, lesquelles ouvrirent leurs coeurs et leurs bourses au jeune homme mince, gracieux et au charme aristocratique. Il trouve particulièrement utile sa rencontre avec Lady Ivy Dundas, une parente du marquis de Zetland par l’entremise de son mari officier. Lady Ivy l’a invité à vivre à son domaine, l’a aidé à trouver quelques travaux rémunérés et, en 1921, a fait en sorte qu’il soit inscrit à la St. John's Wood School of Art; où elle lui a conseillé de ‘travailler très fort pour ne pas à avoir à retourner en Russie'.

 

Après avoir complété sa formation en art, de Grandmaison est très heureux de rester en Angleterre, aussi longtemps que la loi sur les étrangers lui autorise à le faire. Il vivra soit sur ou tout près du domaine des Dundas. Désormais, il génère suffisamment de contrats pour le garder occupé, mais ne fait jamais un véritable effort pour s'établir.

 

En 1923, les Dundas s’inquiétant pour leur ami, décidèrent de prendre  certaines mesures. C’est ainsi qu’il lui offrirent dix ou quinze livres, afin de parier sur un cheval ayant de fortes chances de remporter la Craven Cup, à Newmarket. Il remporta la mise et gain en main, les Dundas suggèrent alors à de Grandmaison que le « le Canada était un pays amical de grande promesse et d'opportunité ».

 

Et donc, Nicholas de Grandmaison arriva à Manitou, au Manitoba, comme ouvrier agricole. Lorsque le fermier et lui-même ont découvert qu'il ne possédait aucune aptitude pour le travail agricole, de Grandmaison décida de s’installer à Winnipeg. De Grandmaison est un personnage captivant qui n’a jamais eu aucun problème à faire de nouvelles connaissances, et ceux auxquels il s'est imposé sont généralement devenus des amis de longue date, prêts à utiliser leur influence pour l'aider dans la mesure du possible. Ses charmes l'ont conduit d’un travail à l’autre, et sa personnalité engageante lui a beaucoup profité.

 

En 1924, il commence à travailler au Brigdens of Winnipeg Ltd., l’une des plus importantes compagnies d’impression et de gravures de la région des prairies. À cette même période, il se joint à l’Arts Club of Winnipeg et commence à accepter quelques contrats de peinture de portrait. Au tout début de cette initiative, il peignait principalement des portraits d’enfants et au courant des années 1920, les familles prospères de Winnipeg faisaient appel à lui de manière récurrente pour des commandes. Néanmoins, de Grandmaison n’obtient que très peu de plaisir à réaliser des portraits d’enfants puisque ceux-ci n’avaient « pas suffisamment vécus ou souffert dans leur vie pour que leurs visages soient intéressants ». En 1925, il ne s’intéresse plus qu’à la pastelle, croyant que ce média permette de créer de plus fines et belles nuances, pour représenter la chaleur et la texture de la peau.

 

En 1926, de Grandmaison obtient la commande la plus importante de sa carrière, décrochant le mandat de peindre le portrait les Ministres de la Justice MacDonald et Pendergast, le Shérif Inkster et Hugh John MacDonald. Financièrement plus à l’aise, de Grandmaison investit dans le marché du blé et il injecte une grande part de ses avoirs dans les échanges locales de maïs. Quand la crise économique de 1929 frappe, lui, comme plusieurs autres investisseurs, se voient complètement ruinés. Non seulement, il venait de perdre tous ses investissements, mais dans cette nouvelle réalité économique, plus personne ne faisait appel à lui pour de nouvelle commande. Il en vient alors à la conclusion qu’il aura besoin de sujet d’intérêt plus général pour réaliser ses portraits, afin d’intéresser les collectionneurs.

 

Sa première incursion majeure dans l'acquisition de nouveaux sujets a eu lieu au printemps 1930, où de Grandmaison se rend à la municipalité de The Pas, dans le nord du Manitoba, pour dessiner des portraits de trappeurs, de prospecteurs, de commerçants, de métis et d’amérindiens. Les médias locaux ont fait l'éloge de ses efforts et, à la fin de l'été, il a organisé une exposition de son travail à la Richardson's Gallery, à Winnipeg. Bien que ses portraits aient été bien reçus, personne ne semblait intéressé à acheter dans un climat financier aussi oppressant. Cependant, vers la fin de son exposition, un homme d'affaires riche de Minneapolis a acheté six portraits d’amérindiens, fournissant à Grandmaison suffisamment de fonds pour continuer son travail.

 

En voyant que ses portraits où figuraient les sujets des premières nations étaient les seuls à trouver preneur, de Grandmaison cherche dès lors à trouver des volontaires posant directement dans leur habitation et milieu de vie naturel. Il trouva que les amérindiens étaient de parfaits sujets pour ses dessins au pastel. Puis, mû par son caractère romantique, il souhaitait faire transparaître la fierté et le caractère d'indépendance de ces personnages au coeur de ses compositions. Rapidement, il rechercha pour ses oeuvres exclusivement les individus dit « pure », dont les visages ne trahissaient aucune trace d’origine européenne. Il s’intéressera plus particulièrement au amérindiens provenant des plaines à l’ouest de Winnipeg et de la réserve de Blackfoot, à l’est de Calgary. Il visita également la nation des Blood, située au sud de Calgary, installée dans la plus grande réserve amérindienne du Canada. Il fut heureux d’y trouver enfin les visages battus par les intempéries du temps et de la vie, qui selon lui caractérisaient les traits typiques des valeureux guerriers ancestraux. La conception que de Grandmaison avait des premières nations était d’abord basée sur sa propre imagination, car, en réalité, la plupart des sujets représentés par l’artiste n’avaient jamais été de glorieux guerriers et n’avaient vécus que sur le territoire de la réserve. De Grandmaison vint à favoriser la réserve des Blood, en raison du vaste bassins de modèles potentiels s’y trouvant et parce que très peu de marriage interraciaux y avaient lieu, ce qui faisait en sorte que les individus y vivant, conservaient leurs traits « pure ». À la fin de son voyage, de Grandmaison avait un cahier remplit de croquis représentant le peuple des Blood mais aussi les Peigan, les Stoney, les Sarcee, les Cree et les Assiniboines, qui vivaient eux aussi sur la réserve. Il avait décidé que la représentation des amérindiens seraient l’accomplissement de sa vie et se voua à cette tâche comme jamais il ne s’était impliqué auparavant en quoique ce soit.

 

Conséquemment, l’artiste développa un modèle qu’il maintenu tout au long de sa carrière. Quand il avait besoin d’argent, il cherchait des contrats de portraiture auprès des hommes d’affaires blancs et de leurs familles, et pendant l’été, il se tournait vers la production d’une imagerie des peuples autochtones. Cela lui permettait de maintenir une certaine liberté financière tant qu’esthétique dans son travail. Ses efforts ont été soutenus par le fait qu’il n’offrait jamais ses services à moindre coût. Même pendant la Grande Dépression, il exigeait des commissions allant de 500 $ à 1500 $. À cette l'époque, il obtint des commissions beaucoup plus élevées pour son travail que le distingué Groupe des Sept, ce qu'il a trouvé très satisfaisant. Il chargeait ses clients comme il l’entendait, à la mesure de ce qu’il pensait que ce dernier paierait, mais il a toutefois donné de bon coeur quelques portraits.

 

En raison de la proximité de ses sujets préférés, de Grandmaison fera de Calgary son domicile. Il épousera Sophia Orest Dournovo, en 1921, elle aussi une immigrante d’origine russe et une vieille amie de la famille de Grandmaison. Elle était elle-même une artiste de talent, réalisant pour sa part de magnifiques sculptures. Au retour de son voyage de noce à Washington, de Grandmaison apprit que son ami et collègue, l’artiste A.C. Leighton, ne se portait pas assez bien pour assurer ses classes à la Provincial Institute of Technology and Art, et, pendant l’hiver 1930-1931, il se vu offrir de de partager avec lui sa charge de cours. Bien que l’artiste n’apprécia pas la nature stricte de l’enseignement, il aima le contact avec les étudiants et le fait de recevoir un revenu constant. Son expérience le rendit plus critique face à son oeuvre et il décida d'abandonner l’huile au profit du pastel. Cette décision s’expliquait aussi en partie par la simplicité du matériau et de la facilité à l’utiliser et à le transporter.

 

 

Lorsque de Grandmaison exécutait ses portraits d’amérindiens, il aimait s’installer dans un studio provisoire, que celui-ci soit improvisé dans une chambre d’hôtel ou à l’arrière d’un van, en autant qu’il puisse en obtenir le contrôle de la luminosité. Il croyait que chaque sujet devait être positionné d’une certaine façon afin de produire un portrait de qualité.

 

Tout au long des années 1930-1940, l'artiste a perfectionné son style, traçant de moins en moins des traits sur le visage et en créant plutôt une structure grâce à habile utilisation de la couleur. Comme son style devenait plus assuré, l’artiste devenait plus spontané et plus en contrôle de la couleur. Il developpa une technique pour augmenter les effets visuels en juxtaposant les couleurs et en abordant les arrière-plans de manière abstraites, de sorte à ne pas distraire le spectateur des caractéristiques faciales du sujet.

 

Lorsque les éléments du visage du modèle lui déplaisait, de Grandmaison n’hésitait pas les modifier, mais de manière subtile afin que le sujet soit toujours reconnaissable. Les cheveux gris pouvaient disparaître et devenir noir, des tresses pourvaient être ajoutées, les caractéristiques pourraient être légèrement plus ou moins grandes, en somme, il appliquait toutes modifications pouvant convenir à ses caprices. De Grandmaison ne s’intéressait pas à ses sujets autochtones en tant que personnes, mis-à-part quelques exceptions. Il était souvent insensible à leurs sentiments ou à leur culture, mais aurait été surpris si on lui avait dit qu’il l’avait été. Par ailleurs, il a souvent utilisé des termes péjoratifs tels que « papoose », « peau rouge » et « brave », mais s’en sortait assez bien car les autochtones le croyaient un peu fou. Dans la culture amérindienne des plaines, les gens souffrant de démence étaient perçus comme habités par des esprits et étaient traités gentiment, car tous craignaient de souffrir de leurs représailles. De Grandmaison était peut-être davantage perçu comme un être excentrique que fou, mais s’en sortait bien en raison de son grand charme.

 

À une époque où les seuls individus blancs que l’on pouvait observer sur une réserve n’étaient que des envoyés du gouvernement, l’amical et désinhibé de Grandmaison était un changement bienvenu, et les autochtones lui retournaient sa candeur. De Grandmaison n'effectuait souvent aucun effort pour savoir qui il représentait. Il identifiait parfois certains hommes, mais c'était probablement un effort pour rendre le portrait plus facile à vendre. Ce n'est que plus tard que l'artiste a pris conscience de l'importance historique de son travail.

 

Alors que Grandmaison devenait de plus en plus absorbé par ses portraits d’amérindiens, il commença à s'éloigner de la communauté artistique en général. En 1935, l'Académie royale canadienne a exposé deux portraits de Grandmaison d'enfants blancs, et sept ans plus tard, il serait élu membre de la A.R.C. lui-même. Cependant, il n'était jamais vraiment un membre actif de ce corps artistique élite et n'était pas intéressé à exposer dans les galeries commerciales. Néanmoins, il en résultat un bon succès économique et commercial pour l’artiste, bien qu’il demeura relativement méconnu dans le domaine des arts en général.

 

Techniquement, l'artiste atteindra le sommet de sa carrière à la fin des années 1940. Tout au long de sa vie, il emporta toujours avec lui un portfolio datant de son premier voyage d'exploration en 1930. Ce dernier comprenait de nombreux travaux considérés comme inférieurs quant à leur style et leur exécution, comparativement à ces oeuvres plus tardives. Cette « collection », léguée à sa famille, a été vendue à la Banque de Montréal en 1978, peu de temps après la mort de Grandmaison.

 

À la fin des années 1940, son rôle dans la préservation d'un registre des peuples autochtones était ce qui importait le plus à l’artiste. Il savait que, en dehors d'un ou deux voyages dans l’état de Washington, son travail avait été concentré presque entièrement sur les prairies canadiennes et, en incluant davantage de représentation des individus des premières nations des amériques, il croyait pouvoir rendre son œuvre plus pertinente sur le plan international. Il a correspondu avec l'entrepreneur et le fondateur du Stampede de Calgary, Guy Weadick, à propos de son projet d’élargir et prolonger son travail de portrait américain. Weadick a fait avec enthousiasme des plans pour la publicité, les visites et les expositions, mais l'aversion notoire de Grandmaison pour les transactions commerciales a mis fin à l'accord. Néanmoins, mettre sur pied une collection américaine demeurait un but important à atteindre pour de Grandmaison, et en 1951, accompagné par son fils aîné, Rick, il voyagera dans le Dakota du Nord pour peindre les Sioux, à la réserve Pine Ridge. Il était impatient de peindre des individus qui avaient été impliqués dans la bataille contre le général Custer à Little Bighorn, mais à leur arrivée, ils ont découvert que deux des trois derniers survivants étaient récemment décédés. Le seul guerrier étant toujours vivant était High Eagle, qui, en raison de son hostilité et de sa méfiance envers les Américains, n'avait jamais autorisé un artiste à le prendre comme modèle. Après une longue argumentation, de Grandmaison réussit à le convaincre, maintenant que lui-même n'était pas américain. High Eagle mourut deux mois après la complétion de son portrait.

 

En 1956, le Collège Notre-Dame, en Saskatchewan, commanda la réalisation d’une vaste collection de portraits illustrant les grands Canadiens de l’époque pour décorer ses murs. De Grandmaison a reçu l’un de ces mandats, puis un deuxième, puis plusieurs des contrats sur une base courante. Au moment de la fin du projet, il avait à lui seul, une vingtaine de portraits sur les murs du collège. Cette collection sera la collection la plus importante par de Grandmaison, représentant des sujets blancs. Ces portraits de grandes personnalités lui ont valu une notoriété plus importante, et ce, sur la scène nationale.

 

Il est possible d'observer un déclin dans l’oeuvre de Grandmaison vers les années 1960. De manière surprenante, c’est aussi à cette période que les honneurs commencent à lui revenir. L’honneur le plus important, sera sûrement son introduction en tant que Chef honoraire pour la tribu Peigan, en 1959, témoignant de son engagement positif auprès de la communauté. En 1972, il obtient un prix remit par l’Ordre du Canada et, plus tard, en 1976, il obtient un doctorat honorifique de l'Université de Calgary pour son travail avec les communautés amérindiennes de l'Ouest du Canada. Un autre accomplissement satisfaisant pour Grandmaison fut sans doute l'amour de l'art qu'il a instillé dans sa famille. Avec son épouse sculpteur, Sophia (Sonia), quatre de ses cinq enfants sont devenus des artistes ou des courtiers d'art eux-mêmes, et cette famille talentueuse a fait l'objet d'un «Exposition familiale» de Grandmaison, à Banff, à la fin de 1977.

 

Source: Hugh Dempsey, History in their Blood: The Indian Portraits of Nicholas de Grandmaison, Douglas & McIntyre: 1982.

 

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