A.R.C., O.S.A. Anglo-canadien, 9 janvier 1838–1 janvier 1898
« Fraser était un homme concerné, ambitieux, et certains ont même suggéré qu’il était vaniteux, et parfaitement adapté à la croissance énorme du pays et à son expansion géographique, qui ont eut lieu au cours des années où il vécut au Canada. » Dictionnaire biographique du Canada

John Arthur Fraser est né en 1838, à Londres, en Angleterre. Il y vit jusqu’à l’âge de 20 ans puis part s’installer au Canada. Dès son arrivée en 1858, il joint la firme du photographe et coloriste de renom, William Notman. En 1860, il est officiellement enregistré en tant que résident de la ville de Montréal. En 1868, il s'établit à Toronto pour y lancer la société Notman-Fraser. Au même moment, Fraser affichait des paysages peints à l’huile chez des marchands locaux et proposait annuellement quelques tableaux aux expositions de l'Art Association de Montréal (aujourd’hui, le  Musée des beaux-arts de Montréal). Il devient membre fondateur de la Société des artistes canadiens en 1867, et, en 1868, Franck est élu membre de la American Society of Painters in Water Colors, de New York. En 1872, Fraser est l’une des premières personnes à soutenir la formation de la Société des artistes de l’Ontario (Ontario Society of Artists). Il gagnera sa vie en enseignant les beaux-arts à leur école des beaux-arts, fondée en 1876. Il apporte aussi son concours à l'Académie royale du Canada, fondée en 1880. Il passe les 14 dernières années de sa vie aux États-Unis. Ses paysages au réalisme photographique sont salués par la critique, qui admire son sens de l'observation du détail et son utilisation de la lumière et de la couleur.

 

 

Description de cette toile:

 

De la Conquête à la fin du XIXe siècle, les paysagistes britanniques, professionnels et militaires topographes, vont traverser sur la rive sud du Saint-Laurent pour bénéficier d’une vue imprenable sur Québec (voir note de bas de texte, no.1). De l’embouchure de la rivière Etchemin, à l’ouest, jusqu’à la Pointe de Lévy, à l’est, les peintres et photographes rendront, dans toute leur splendeur, les différents points de vue sur la vieille ville. Attirés par le campement Micmac sis à l’anse aux Sauvages, plusieurs artistes vont privilégier le site de la Pointe de Lévy qui offre un vaste et spectaculaire panorama de la capitale.

 

Il s’agit ici de la seule vue de la région de Québec due aux pinceaux de John Arthur Fraser (1838-1898), réputé surtout pour ses somptueux paysages des Cantons-de-l’Est et des Rocheuses. L’aquarelle, datée de 1866, compte parmi les premiers paysages connus de l’artiste, alors au début de sa carrière canadienne. Après avoir été formé, notamment, à la Royal Academy de Londres et avoir pratiqué comme portraitiste, John A. Fraser émigre avec sa famille, à l’âge de 20 ans, au Canada. Il est, en 1860, le premier directeur artistique embauché à temps plein par William Notman, à Montréal, où il rehausse de couleurs les portraits du célèbre photographe. Il s’affirme alors comme l’un des plus talentueux coloristes et des plus éminents aquarellistes au pays (voir note, no.2). Dès 1867, il est inscrit au premier Salon de l’American Society of Painters in Water Colours qui se tient à New York. À titre d’associé, Fraser va diriger, à partir de 1868, le studio de Notman de Toronto, avant de poursuivre seul, vers 1880, une brillante carrière de paysagiste et de participer à la création d’importantes sociétés artistiques (A.A.M., S.C.A., R.C.A., O.S.A.).

 

Fraser compose ici, sur le motif et sur trois plans, une vue hivernale de l’environnement de Québec selon un angle quelque peu inusité, pour ne pas dire fort rare. En effet, le regard porte au loin, en amont du fleuve, en direction ouest, vers le coucher de soleil qui met ainsi à contre-jour le Cap Diamant, dominé par la citadelle et son logis des officiers. On reconnaît, aux pieds de la masse monumentale et sombre, le profil architectural de la Basse-Ville, mais on ne voit pas la silhouette habituelle de la Haute-Ville, avec ses édifices publics caractéristiques. La lumière crépusculaire permet de traiter le ciel nuageux dans de riches tonalités aux effets dramatiques. À l’avant-plan, à gauche, un escarpement rocheux est surmonté de conifères ainsi que de maisons rustiques d’ouvrier avec, derrière, des poteaux de soutien et des bécosses, et, en contrebas, une descente de débarquement - sans doute pour l’ancien pont de glace -, à côté d’un long hangar. Descente et hangar servent probablement tous deux pour les canots, l’une de rampe de lancement, l’autre d’entrepôt. Au dessus de ce bâtiment, on distingue la coque d’un gros navire, en cale sèche, en construction ou en réparation (voir note, no.3). Le tout est rendu avec la minutie d’un miniaturiste. Au plan intermédiaire, au centre, l’aquarelliste rend compte de la traversée du fleuve en canots à glace, véritable sujet de la composition. Au printemps, le pont de glace entre les deux rives n’étant plus sécuritaire en raison du dégel, les résidents et voyageurs devaient emprunter des canots pour se rendre péniblement, dans une véritable course à obstacles entre embâcles, débâcles et mares d’eau, à Québec ou à Lévis, là où se trouvait la gare de trains (voir note, no.4).

L’ensemble, très soigné, rappelle le réalisme photographique dans lequel baigne Fraser. L’artiste ne pose pas comme tel un regard topographique sur la capitale ou Lévis, mais offre une vision à la fois ethnographique, pittoresque et romantique bien du goût de son temps. Jalon essentiel pour la connaissance du peintre et, notamment de ses débuts comme paysagiste, cette œuvre inédite et de très haute qualité témoigne, à n’en point douter, de la sensibilité et de la grande maîtrise de l’aquarelle à laquelle était parvenue John Arthur Fraser, un artiste déjà accompli en 1866.

 

Mario Béland, Ph. D., MSRC

Le 13 décembre 2014

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1. Mentionnons, dans l’ordre chronologique, Richard Short, James Peachy, George Heriot, Charles Ramus Forrest, Robert Auchmuty Sproule, James Pattison Cockburn, Henry William Barnard, James Hope Wallace, George Seton, Fred H. Holloway, Cornelius Krieghoff, Lucius O’Brien. Voir John R. Porter et Didier Prioul, Québec, plein la vue, Québec, Musée du Québec/Les Publications du Québec, 1994, 299 p.

2. Des portraits signés par Notman & Fraser dans la métropole sont conservés au Musée McCord, à Montréal, à Bibliothèque et Archives du Canada et au Musée des beaux-arts du Canada, à Ottawa. Le McCord conserve aussi plusieurs portraits photographiques de Fraser et des membres de sa famille, dont l’un de l’artiste daté de 1866. Jusqu’à la découverte de cette vue de Québec, ses premiers paysages qui nous étaient parvenus étaient datés de la fin des années 1860. Il est bien fait mention de Soleil et averse publié en 1863 dans le Photographic Selections de William Notman et de trois aquarelles, dont une esquisse d’Owl’s Head, présentées en 1864 et 1865 à l’A.A.M., mais toutes ces œuvres sont aujourd’hui disparues. En 1868, Fraser, alors à Toronto, présente au Salon de l’A.A.M. une peinture intitulée Kamouraska, datant sans doute de son séjour dans la région de Québec.

Sur Fraser, voir Dennis REID, « Notre patrie le Canada ». In Mémoires sur les aspirations nationales des principaux paysagistes de Montréal et de Toronto, 1860-1890, Ottawa, Galerie nationale du Canada, 1979, 453 p.; la notice de Dennis REID, « Fraser, John Arthur », dans le Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval / University of Toronto, 2003, p. 364-367 (http://www.biographi.ca/fr/bio/fraser_john_arthur_12F.html); de même que le catalogue de Kathryn L. KOLLAR, John Arthur Fraser, 1838-1898. Aquarelles, Montréal, Galerie d’art Concordia, 1984, 64 p. L’auteure a soutenu à l’université Concordia, en 1981, un mémoire de maîtrise sur l’artiste. Lire le commentaire cité par Reid (1979) en marge de la reproduction de Soleil et averse,1863 (p. 46) : « C’est un des rares paysages que l’artiste ait réalisés depuis qu’il habite au Canada. Il peint d’après nature, en plein air, et un grand nombre de ses croquis sont la reproduction fidèle d’un endroit précis. Tant de fraîcheur et de naturel nous font regretter que les circonstances n’aient pas permis à Fraser de s’engager dans un domaine où il aurait sûrement réussi. » Chef du département des arts, au studio Notman, Fraser aura une influence marquante sur ses employés dont Henry Sandham qui comptera parmi ses meilleurs élèves.

3. On retrouve un escarpement semblable dans la Vue de Québec de William F. Wilson datée de 1851 et conservée au Musée McCord. Voir PORTER et PRIOUL, op. cit., p. 134. Dans un ouvrage sur les fortifications de Lévis paru en 1864-1865, il y avait, dans la section nord-est de l'anse Glenburnie, à Lauzon, trois chantiers navals : celui de la St. Lawrence Towboat, celui de Charland & Marquis et enfin celui de Duncan Patton. Il faut ajouter, un peu plus à l’ouest, les chantiers Dubord, Davie et de l’anse Saint-Laurent. Le fond du paysage relève plus de l’imagination que de la réalité, sans doute pour faire plus « pittoresque ». En effet, la rive sud après Lévis, vers l'ouest, était peu développée à cette époque. Aussi, il n’est pas aisé de dire à quoi réfèrent les deux clochers d’églises, sises au niveau du rivage et à l’emplacement du pont actuel. L’église de Notre-Dame de Lévis est construite sur les hauteurs. Celle de Saint-Romuald a été érigée près du fleuve en 1855-1857. Vers la droite, sur la rive nord, on ne voit pas celle de Saint-Michel de Sillery, construite en 1852. Enfin, l’aquarelle ne montre pas, toujours à l'ouest, d'ouverture sur le fleuve, comme si nous étions dans une baie fermée par une chaîne de montagnes.

4. Les traversées de canots à glace sur le Saint-Laurent, un sujet pour le moins exotique, ont assez tôt suscité l’intérêt des artistes étrangers. Il s’en trouve dans les aquarelles de George St. Vincent Whitmore, en 1836 (Bibliothèque et Archives du Canada), de Philip John Bainbrigge, en 1837 (Musée national des beaux-arts du Québec, Québec et Royal Ontario Museum, Toronto), et de Denis Gale, vers 1860 (Bibliothèque et Archives du Canada). Mentionnons encore les tableaux de Cornelius Krieghoff, dont le bien connu Voyageurs et courrier traversant le fleuve (coll. privée), montrant le transport de la poste royale, qui donna lieu à une lithographie publiée par John Weale à Londres, en 1860. Eugène Hamel reprendra à son tour dans des aquarelles, aussi tardivement que 1912, le même thème.

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